Johan sur le Paris-Roubaix 16 Avril 2022
Publié le 9 juillet 2022 dans Les récitsParis – Roubaix
16 avril 2022
Nous voici la veille de mon troisième monument. On est vendredi matin et mes équipiers de fortune que j’ai embarqué dans mon pari de réaliser les cinq monuments en cinq ans sont toujours avec moi.
Jean-Charles et Daniel sont toujours présents et pas de gros bobos à déplorer cette année pour eux…oufff !!! un peu de répit ça ne fait pas de mal non plus.
La voiture chargée et les équidés mécaniques chaussés de sabots plus larges qu’à l’accoutumé sont sanglés et muselés pour garder toute leur vigueur pour le lendemain.
18h15 : Après huit heures de trajet, nous voilà arrivés à Roubaix pour y retirer nos dossards et tickets de navette pour le lendemain.
Nous déambulons dans l’allée des exposants et nous craquons lamentablement pour des gants, chaussettes, chasubles…
« Put… !!!! on avait dit que la carte bleue devait rester dans la voiture, mince !!! »
« On le sait très bien qu’on n’a pas de volonté bordel »
Passage à l’hôtel afin de déposer nos montures et nos packtages et direction le resto pour faire le plein de protéine.
Chute au resto Jean-René Godard : tarte au citron meringuée en dessert pour Mr Boislève… aucune volonté.
21H00 : Nous retournons à notre chambre afin de faire le point sur la préparation des vêtements et des équipements.
Tout est ok ! Il est 22H00 et nous pouvons éteindre sereinement la lumière.
22h05 : Mais c’est quoi cette isolation de m… !!!! les murs sont en papier ou quoi ?!?!?! le bruit des voitures, des scooters, les personnes qui montent les escaliers à l’extérieur et même le voisin qui chuchote au téléphone lol !!!!
Prise de note : Penser à acheter des rails, du placo et de la laine de roche pour demain !
03h00 : le réveil sonne, je m’étire et après un rapide petit bilan, la nuit fut bonne dans son ensemble.
03h10 : Moment insolite : le bal des crèmes anti-frottements commence. On peut voir que depuis toutes ces années de cyclisme, chacun a élaboré sa propre technique et chacun a opté pour le tube classique ou bien le pot. La technique étant identique : y aller généreusement, ne pas lésiner sur la dose, ne pas y aller avec le dos de la cuillère (oui chacun sa technique lol) et y aller franco…
03h12 : Nous sommes concentrés sur l’étalage de notre crème, une jambe au sol et l’autre sur le lit.
A ce moment-là j’esquisse un large sourire à mes collègues car cette scène, entre tenues moulantes et lubrification des zones dites sensibles, cela ressemble plus au début d’un film pornographique gai qu’au début d’une épreuve de cyclisme lol.
03h15 : La pause douceur terminée, il est temps de s’alimenter un peu et de rassembler ses dernières affaires avant le départ.
03h45 : La voiture est chargée et les vélos sont fin prêts à en découdre. Ils annoncent beau temps, température fraîche en début de journée (6°) et très douce pour la saison dans l’après-midi (17°)
04h00 : Nous sommes arrivés au départ de la navette qui doit nous conduire à Businy pour le départ. Je ne retrouve pas mon ticket de réservation pour la navette et du coup je me demande si je l’ai vraiment commandé ?!?!
Bref ! un joli sourire, une explication à la mords-moi le nœud et ça passe crème : fait rassurant…je n’étais pas le seul dans ce cas là lol.
04h30 : les vélos sont dans les remorques enveloppés dans du carton (au top) pour continuer leur nuit, et nous, nous sommes parqués dans le bus, non pas pour recevoir les consignes de la stratégie de course du jour, mais comme pour les vélos, continuer de gagner un peu de sommeil.
Il fait chaud dans le bus, environ 22/24°. Après avoir enlevé quelques couches de vêtements, je ferme les yeux et médite à quel secteur pavé je placerai mon attaque lol.
06h15 : Nous sommes sur le point d’arriver et mes yeux s’ouvrent en même temps que mon estomac. Trois sandwiches jambon/fromage plus tard et nous arrivons à destination.
06h30 : Nous sommes dehors et le chauffeur tambourine désespérément à la porte des toilettes du bus en criant qu’il est interdit d’utiliser les toilettes lorsque le bus est à l’arrêt. Peine perdue car l’occupant des lieux, au vu de l’odeur de chacal, à décider d’en découdre en salle de ponte.
06h50 : Nous récupérons enfin nos vélos en ayant patienté dans le froid (4°). Pour vous donner une indication j’avais opté pour : un cuissard court, un t-shirt technique sans manche (style bas résille, des manchettes d’été (spécialement vendues par Mr Christophe Pérot lors de l’étape du Tour en 2018) un coupe-vent, des gants courts et pas de sur-chaussures, ni de cache oreilles.
07h00 : Nous sommes sur la ligne de départ (départ libre à partir de 7h00) et nous réalisons quelques photos pour le souvenir.
07h03 : C’est enfin parti Youououuuuu !!!!
Il fait froid au doigt avec la résistance au vent, mais je prends mon mal en patience et tapote mes mains sur le cuissard.
Kilomètre 12 : Nous arrivons au 1er secteur pavé. Un chantier sans nom : des bidons en veux-tu en voilà. Il faut être vigilant et les éviter. Des chambres à air… des cartouches de gaz… des barres énergétiques. Vous aurez compris que les pavés ça secoue et qu’il faut avoir pensé à des portes bidons assez fermes et des poches bien fermées…ou peu remplies.
Sur ce premier secteur, au moins une quinzaine de crevaisons.
Ce spectacle de déchèterie à ciel ouvert (non volontaire bien évidemment) ainsi que le bal des rustines sera la scène quotidienne des 32 secteurs pavés.
Kilomètre 18 : Second secteur pavé, Daniel, notre camarade d’expédition rencontre un problème de vitesse : plus rien ne passe. Il se rend compte à ce moment-là qu’il a perdu sa batterie de DI2, première génération de batterie qui est externe (maintenant elles sont dans le tube de selle ou du cadre).
La poisse !!! le voilà bloqué sur le 39×15.
Cela entachera un peu son moral dans un premier temps mais il retrouvera le sourire par la suite.
Kilomètre 21 : Premier secteur à 4 étoiles : et bien ça secoue pas mal du tout. On met du braquet, on appuie sur le guidon et on donne 90% de sa puissance pour surfer sur le haut des pavés et y passer le moins de temps possible. Ouff !!!! C’est passé et ça s’est fait.
Kilomètre 50 : premier des deux ravitos et on décide de faire l’impasse. Les bidons sont ok, je m’alimente depuis le début (petits gâteaux dans la sacoche qui se trouve sur le haut du cadre près de la potence = très pratique, mais il faut penser à la refermer quand ça secoue si non c’est le feu d’artifice lol).
Kilomètre 70 : enchaînement de secteurs pavés à 4 étoiles. La vigilance est de mise et il faut bien rester concentré sur la trace à prendre. Il ne faut pas mollir et se reposer dans les transitions bitumées. Il faut penser sur le vélo, durant ces transitions, à s’étirer et à se dégourdir les muscles qui ont tendance à se tétaniser.
Kilomètre 76 : La Trouée d’Aremberge : le mythe, la légende !!! ce passage au 5 étoiles qui a fait sa réputation de grosse difficulté. Je dirais moi que c’est « un beau chantier quand même ». Ce passage est surprenant visuellement dans un premier temps. Nous arrivons lancés à plus de 40km/h (contre 60km/h pour les pros…chercher la seringue…heu… l’erreur lol). On peut y voir la longue ligne droite et le dénivelé de ce passage légendaire. Les camping-cars sont en nombre déjà, la foule est présente à l’entrée du passage, ça applaudi, ça cri, la musique est présente aussi et c’est parti pour les sensations.
Waw !!! lancé à 40Km/h ça tape hyper fort, j’entends le bruit des jantes carbones des autres concurrents qui tapent littéralement sur le pavé, c’est horrible pour certains. On s’en fiche on reste concentré et on donne tout ce que l’on a : c’est comme l’arrivée de la pancarte de les Touches à 3kms de l’arrivée, on calcule plus. L’ambiance me donne des frissons… on double à droite, à gauche, au milieu. Il n’y a pas de traces à prendre tellement les pavés sont disparates par leurs distances les uns des autres et par leurs différences de hauteur : sûrement un travail de… comment dirais-je ??? ah oui comme un travail d’un gars qui n’y connaît rien lol.
Arrivé à la moitié, la pente commence à remonter à 3% et là il faut remettre de la vitesse car ça tape vraiment fort à moins de 20km/h. Allez, on y est presque… c’est bon !!!!
Oh la la !!! quelle expérience de dingue. J’avais du mal à me faire à l’idée à la télé mais là, respect. Que c’était exaltant et difficile, mais j’ai presqu’envie sur l’instant de le refaire tellement l’expérience était belle.
Kilomètre 106 : Ravitaillement. J’en profite pour faire le plein des gourdes, ajouter les pastilles de sel, me restaurer (orange, banane, gaufre). J’en profite pour aller aux toilettes pour un besoin gênant (prise de note : c’est fou que ce que les secousses peuvent avoir comme conséquences sur mon métabolisme !!!). Je crois bien que c’est pendant cette pause en « Salle de Ponte » que j’ai perdu mes collègues qui ne m’ont forcément pas trouvé au ravito.
Je repars seul et me dis qu’il ne faut pas traîner non plus si je veux arriver à l’heure au vélodrome avant la course des femmes.
Kilomètre 123 : Mont-en-Pévèle. J’ai trouvé ce passage assez sympa. Pas mal d’ambiance aux abords de ce secteur noté cinq étoiles sur cinq.
Cette portion mérite bien ses étoiles et, à la difficulté des pavés, s’ajoutent à ces derniers des petits bouts de palis d’ardoise en guise d’intercalaire par endroits.
Beaucoup de poussière vient également perturber l’adhérence et si je résume : pavés cinq étoiles, plus, palis d’ardoise, plus, poussière prononcée, cela donne quoi ??? Et bien cela donne un petit grizzly sur le dos dans le virage à quatre-vingt-dix degrés.
En voulant reprendre le haut du pavé avant le virage, j’ai tiré sur le guidon pour sauter les palis et la manœuvre était assez bien maîtrisée je trouve. En revanche la roue arrière a été d’un autre standing puisqu’elle a glissé sur le palis, le vélo s’est couché et le bonhomme s’est retrouvé sur le dos tout gentiment. La marée chaussée présente à ce virage m’aidera à me relever en me proposant d’appeler les secours. Que nenni, rien de cassé, un peu de vernis resté sur les pavés et zou !!! c’est reparti pour l’aventure.
Kilomètre 140 : J’aperçois mes deux compères au loin, ouf !!! ils ne sont pas derrière à la traîne et vont pouvoir arriver avant la fermeture du vélodrome.
Jean-Charles a un coup de moins bien et notre ami Daniel à retrouvé toute sa gaité et ses jambes également parce qu’avec son 39×15 il envoie sévère sur les derniers secteurs pavés.
Kilomètre 153 : Carrefour de l’Arbre, dernière trace mythique de Paris Roubaix, où des courses se sont jouées ici même. Ce passage aux cinq étoiles tient toutes ses promesses.
Les pavés tabassent et le public est au rendez-vous. L’ambiance est top mais je garde tout de même les yeux sur ma trace et me concentre à appuyer sur le guidon pour garder de l’adhérence.
Dernier virage à quatre-vingt-dix degrés et j’attaque la dernière ligne droite où j’aperçois le toit du restaurant et sa couverture légendaire où est inscrit le nom de ce passage.
Trois, deux, un et c’en est fini des passages aux cinq étoiles.
Kilomètre 168 : Les deux derniers secteurs pavés étaient une formalité et j’arrive dans les rues de Roubaix. Je comprends ce que peuvent ressentir les coureurs lorsqu’ils parcourent seuls cette avenue pour aller chercher la gagne. J’arbore un sourire sur mon visage et la foule présente sur les bords de la route ajoute une note festive à cette ferveur.
Plus que trois kilomètres et je donne tout, les platanes défilent et au loin le dernier petit passage pavé se profil.
Virage à droite, petits lacets, je passe les portes du Vélodrome et les frissons m’envahissent. C’est la première fois que je ressens cela sur un vélo. La foule est amassée dans les gradins, les concurrents déjà arrivés sont sur une partie de la pelouse et les supporters tapent sur les panneaux.
L’euphorie m’amènera à monter sur le haut de la piste du vélodrome pour pouvoir redescendre en danseuse, les mains en bas du guidon puis lever les bras sur la ligne d’arrivée…Quel moment !!!
Quel plaisir que je viens de prendre pour mon troisième monument !
A partir d’aujourd’hui, l’image du petit garçon qui regardait cette course mythique à la télévision laissera la place à l’homme qui a vécu cette journée comme les Grands…
Johan